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When life and choice collide. Essays on rhetoric and abortion

Collectif sous la direction de David MALL, 1994

Kairos Books, Illinois
352 p. $ 15

La bataille du respect de la vie est pour une bonne part une guerre sémantique. Cette guerre-là a été largement remportée par le camp pro-avortement qui a su utiliser et accepter des expressions telles que interruption volontaire de grossesse (pour décrire des actes ne relevant pourtant d’aucune volonté foetale), avortement thérapeutique (éliminant un patient que l’on veut surtout éviter d’avoir à soigner), enfants non-désirés (expression postulant que le désir conditionne l’amour filial), masse cellulaire (ce qu’est également, en définitive, tout adulte), commandos anti-IVG (pratiquant probalement comme leurs confrères islamistes algériens, égorgements et tueris à la machette), droit des femmes (un enfant avorté sur deux est pourtant du sexe féminin) ...
On ne saurait pourtant en déduire que la manche est perdue. Le mouvement pro-vie a su, lui aussi (du moins aux Etats-Unis), résister dans cette guerre verbale (qui masque et autorise une autre guerre bien réelle) : en témoigne la reconnaissance quasi unanime par les quotidiens américain de la dénomination «pro-life» ou du terme «partial birth abortion» (avortement après naissance partielle» que ses promoteurs ont tenté sans succès de camoufler sous d’autres euphémismes à consonnance psuedo-médicale).
Toute bataille, pour être gagnée, nécessiteun inventaire : celui de la situation, celui des forces en présence, et celui des moyens déjà engagés par lses propres troupes et celles de l’adversaire à un moment donné du conflit.
C’est ce que propose et réussit brillament, à défaut d’être exhaustif même s’il s’en rapproche, cet «essai sur la réthorique et l’avortement». Quinze auteurs indépendants les uns des autres ont été invités à traiter du sujet divisé en cinq thèmes : les barrières à la communication, le language et l’opinion publique, les leçons de l’histoire, approches réthoriques et philosophiques et stratégies de persuasion.
La pauvreté d’argumentation et d’expression de nombreux militants et personnalités pro-vie française justifie de recommander très largement la lecture (et si possible, à cette fin, la traduction) d’un livre dont les quinez articles sont tous d’un intérêt remarquable.
Au chapitre des barrières à la communication, Keith CASSIDY explore la notion d’autorité et de la légitimité (par exemple, le fait qu’à un moment donné de l’évolution d’une société, le médecin et l’expert sont perçus comme ayant autorité à s’exprimer sur un sujet de société, ou encore comment le fait de se présenter comme un défenseur d’une démocratie assiégée par la bigoterie force la sympathie et procure une légitimité dans un débat) et comment elles ont été mises à profit par le mouvement pro-avortement. Selon Cassidy, aucune forme d’autorité et de légitimité n’est sans revers (le crédit accordé aux «experts» peut aussi se retourner contre eux en les faisant percevoir comme arrogants, éloignés du peuple). Il s’agit donc de percevoir dans un société donnée, à un moment donnée, qu’elle sont les formes les plus adéquates permettant de tourner à l’avantage du mouvement pro-vie l’autorité et la légitimité qui lui permettront de faire entendre sa cause (et leurs risques).John J. POTTS, dans un style d’investigation classique dans le monde anglo-saxon (mais malheuruesement peu connu dans le monde latin) analyse de façon détaillée les biais rédactionnels pro-avortement d’une série d’articles de Newsweek étalés sur une période de quatre année, et leur incohérence interne (articles de la même rédaction se contredisant d’une édition à l’autre). L’étude met en lumière l’inaptitude des journalistes de Newsweek à rendre compte honnêtement à leurs lecteurs des faits (le sujet étudier, un fait juridique, ne laissant pourtant qu’une place très mince à la subjectivité). Au passage on galnera une interessante description de la jurisprudence américaine en matière d’avortement.
Au second chapitre, celui de l’influence du language sur l’opinion publique, on trouve la présentation méthodologique d’une étude menée par Raymond J. ADAMEK en vue de hierarchiser en fonction de leur impact sur le public (c’est à dire de la fréquence avec laquelle un argument est cité de mémoire) les principaux arguments pro-vie et pro-avortement. Avec une surprise de taille : le principal argument pro-vie est nettement plus «saillants» que ses équivalents pro-avortement : 50 % des personnes interrogées citent «c’est un meurtre» comme étant le principal argument entendu contre l’avortement, tandis que le premier argument pro-avortement («danger pour la santé de la mère») n’est identifié comme principal argument pro-avortement que par 24 % des personnes sondées. En d’autres termes, les arguments du mouvement pro-avortement seraient plus diversifiés (dans l’opinion publique) et moins universellement répandus (moins saillants) que ceux du camp opposé, moins nombreux mais plus facilement mémorisés et identifiés par l’opinion publique. Moins enrichissant, Donald GRANBERG enfonce quelques portes ouvertes avec un sondage traité par analyse factorielle des correspondance permettant à son auteur de conclure statistiquement ce que chacun présent naturellement : la connotation affective (attachement/répulsion) prise par une même réalité dépend du qualificatif utilisé pour le décrire : ainsi en va-t-il des vocables embryons, foetus, enfant à naître et bébé, tous employés pour désigner le même être. On aura compris que la tendance à employer l’un de ces quatres termes ne penche pas dans le même sens selon que l’on est favorable ou défavorable à l’avortement. Beaucoup plus interéssante (l’article vaut même à lui seul le détour) est la description par David MALL des phases conceptuelles de la campagne publicitaire pro-vie lancée à partir de 1990 (sous l’impulsion du cardinal John O’Connors) par la Commission pour les Activités Pro-vie de la Conférence Episcopale des Etats-Unis, et pour laquelle il fut fait appel à une agence de communication choisie après un discret appel d’offres. David Mall décrit et critique les études d’opinions conduites dans le cadre de cette campagne (définition de la cible, analyse des valuers sous-tendant les comportements, élaboration des stratégies de communication retenues) et tente d’évaluer (à partir des affiches éffectivement réalisées et diffusées dans le cadre de la campagne, reproduite ici en noir et blanc et en réduction) si les choix définitifs répondaient aux objectifs stratégiques identifiés.
Deux articles seulement composent le chapitre consacré aux leçons de l’histoire. Le premier (Milton C. SERNETT) s’interesse à l’abolition de l’esclavage, le second (William BRENNAN)
à l’holocauste nazi. Mais les angles d’approche sont différents. Tandis que Brennan établit une liste de parralèle forts pertinents entre les langages de deshumanisation nazi et pro-avortement («les juifs ne sont pas des êtres humains»/ «les embryons ne sont pas des êtres humains»), Sernett va plus loin dans l’analyse : il ne souligne pas seulement la manière dont le mouvement pro-vie réutilise la cause abolitioniste pour son crédit moral (les militants pro-vie américains utilisent fréquemment des analogies associant par exemple droit de mort du propriétaire sur son escalve et droit de mort de la femme sur son enfant par l’avortement, mais vont aussi p&arfois plus loin en s’identifiant aux-même au mouvement abolitionsite), mais propose égalemenet une approche instructive des différences entre le mouvement anti-avortement et le mouvement abolistioniste (on sait par exemple que les Eglises protestantes traditionnelles ont joué un rôle actif dans le mouvement abolitioniste, tandis que l’Eglise catholique et les Eglises baptistes sont aux premiers rangs dans la lutte pour l’abolition de l’avortement).
Les quatrième et cinquième chapitres de la compilation qui nous occupe sont plus hétérogènes que les premiers. Donald DeMARCO décortique la manière dont les avocats de l’avortement soumettent les mots à un processus de dévaluation, de dévitalisation, de déterioration et d’inversion afin de les dissocier de leur relation avec la réalité (phénomène bien connu des «IVG», «régulation menstruelle», «produit de la conception», «réduction embryonnaire», «contragestion» et autre «contraception post-coïtale» destinés à brouiller les conscience par le brouillage des repères sémantiques). A cette plainte répond pertinemment John C. WILLKE. Le co-fondateur du Comité National pour le Droit à la Vie (NRLC) propose brillament une contre-offensive sémantique aux euphémismes et dénigrements pro-avortement qu’ils traite point par point. «Droit de choisir» redevient «droit de choisir de tuer». Une «clinique» d’avortement utilise un terme à connotation positive (clinique =lieu où l’on est soigné). On lui préferrera «bloc d’avortement». L’année 75 ne vit pas en France «l’adoption» d’une «réforme» législative «libéralisant» l’avortement et «reconnaissant» aux femmes la «liberté de chosir» (cinq termes positifs) mais le «passage» d’une loi «régressive» (ou «permissive») «abandonnant» les mères aux «pressions» économiques et financières et à celles de leur entourage et généralisant les «avortements de convenance» (termes négatifs ou neutres). Moins terre-à-terre, Gary GILLEPSIE offre une contribution très originale issue d’une étude séamantique des discours pro-vie et pro-avortement permettant de classer les termes de la confrontation selon une grille analytique basée sur la victimisation du foetus. Pour Gillepsie, le combat actuel autour du foetus et de son respect se présente (à lire certains écrits et arguments pro-vie comme pro-avortement) comme le lieu de cristallisation contemporain de l’expérience humaine tragique du sacrifice humain, l’enfant à naître servant d’exutoire et de bouc émissaire d’une société marquée à tous ses échelons par la violence. A l’appui de sa thèse, Gillepsie cite des articles ultra-féministes dont les auteurs, tout en reconnaissant totalement l’humanité du foetus, y voient une exprssion de la domination masculine et réclament la pleine liberté (sinon le devoir) d’éliminer ce «porlongement du mâle» afin d’atteindre leur pleine libération. Face à cette intuition de l’avortement comme sacrifice humain, «castration» nécessaire à l’émancipation féminine (que l’on retrouve également chez Oriana Fallaci, traduite en français), le mouvement pro-vie n’est pas en reste, se plaçant cette fois du coté de la victime. Nombreuses sont les références pro-vie qui identifient par exemple le foetus, victime innocente, au sacrifice suprème du Christ sur la croix (thème du bouc-émissaire). Ou encore les métaphores décrivant une société «sacrifiant» l’enfant «sur l’autel» de ses désirs (thème du sacrifice païen). Pour Gillepsie cependant de telles images réthoriques pourraient être plus qu’une stratégie et symboliser profondément une réalité sociologique de grande implication à une époque où, se détournant du modèle de libération chrétien, le monde occidental rechercherait de nouveau inconsciemment, dans le sacrifice païen, un exutoire à la fatalité et à la violence. Dans un tout autre registre, William C. HUNT essaie d’identifier les barrières conceptuelle qui empêche les individus plongés dans une société fondée sur le primat de la technologie d’agir morallement. Pour Hunt, une décision morale, qui nécessite de choisir ce qui est bon et non pas ce qui est utile, se heurte aujourd’hui à la déification des outils, les moyens occultant les fins (ainsi de l’aura des techniques de procréation médicalement assistée). Le culte de l’éfficience et du rendement («un bon chat est un chat qui rapporte des souris») participe du même mouvement : la question se déplace de l’avortement à l’avortement sans danger, qui devient omnibulante. De son côté, la standardisation nécessite l’abandon des considérations individuelles particulières : ce qui est un drame humain devient à l’échelle d’une nation une équation neutre et sans visage : l’avortement perd sa réalité sanglante pour devenir une solution parmi d’autre àun problème démographique. L’artificialisation des conditions de vie induit l’impression qu’on peut modifier àvolonté la nature et ses lois ; la coupure de plus en plus profonde avec la réalité conduit à confondre l’expression médiatique avec la réalité (ce que dit la télé est le vrai) ; enfin l’accélération des changements technologiques conduit au sentiment d’inévitabilité dans lequel il n’est pas utile de résister, car de toute manière ce qui peu se faire se fera. L’analyse, plutôt philosophique (ou plus exactement epistémologique), n’est pas directement placée sur le plan réthorique mais l’identification des blocages mentaux ne soit pas forcément inutile à qui envisage une communication efficace !.
B.F. McCLERREN, dans une brève note, essaie un classement des éléments de discours pro-vie et pro-avortement selon trois formes réthorique.
Wanda FRANZ explique quant à elle de manière pertinente et accessible, à la lumière de la théorie de Piaget sur le développement cognitif de l’enfant, la manière dont les adultes perçoivent et interprêtent les informations qu’ils reçoivent. Il ne suffit pas d’avoir raison, encore faut-il l’exprimer dans un langage efficace. Elle en tire des recommendations utiles pour présenter les arguments pro-vie de façon à ce qu’ils soient aptes à être reçus et compris pas des personnes à des degrés de développement mental différents, étant entendu que chaque population doit être abordée de manière adéquate et spécifique.
Monica MIGLIORINO MILLER dans un papier plus prospectif qu’analytique essaie de fonder une réthorique du droit à la vie fondée sur le mouvement des droits civils (très porteur aux Etats-Unis) apparu dans l’après-guerre avec notamment Martin Luther King.
La dernière contribution, de Mary R. JOYCE, nous permet de reposer pied. Dans un style moins académique, l’auteur décrit son expérience personnelle (à travers les «courriers des lecteurs») de la recherche des points faibles de l’adversaire (pro-avortement) permettant, en le réduisant au silence, de donner une chance à la vérité de se faire entendre.
Le pavé est épais, les concepts ardus parfois, mais l’enjeu en vaut la chandelle. When Life and choice collide n’est pas un luxe, mais un outil de base. Il rendra un service inestimable aux mouvements pro-vie qui entendent se former sérieusement à l’expression orale ou écrite et à la réthorique. Le contexte anglo-saxon est évidemment sensible (existence d’une forte industrie privée de l’avortement - mais inversement inéquivalence de l’idiome francophone «centre d’orthogénie», etc.). Un lecteur averti saura faire les dapatations nécessaires. Il en va de même à fortiori d’un groupe d’étudiants qui consacreraient utilement du temps aux chapitres de ce livre, sous la direction d’un professeur, ou d’un conférencier dans une session de formation militante.
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